4. Le sexe des fleurs
(futur possible)

La main saisit délicatement la rose blanche.

Une goutte de sang perla.

Le doigt meurtri par l’épine toucha les lèvres.

La rose trouva sa place au milieu d’un bouquet.

Aurore regarda son doigt rougi et essaya de se ressaisir.

À côté du bouquet, la feuille jaune de l’hôpital annonçait son verdict.

Désormais elle savait. Elle ne pourrait plus avoir d’enfant.

Elle rangea les jouets qu’elle avait achetés par avance, et ferma à clef la chambre qu’elle avait déjà aménagée en prévision d’une fécondation réussie.

Les piqûres d’hormones et l’implantation d’ovules avaient échoué.

Elle était stérile. Et son mari se révélait lui aussi incapable de procréer.

Aurore scruta l’horizon, et sut qu’elle n’avait plus qu’à attendre de vieillir et de mourir. Personne, désormais, ne transmettrait son code génétique. Pas de bébé avec son regard, ses cheveux, sa manière de rire. Elle mourrait en emportant son héritage dans sa tombe.

Stérile…

Ce mot lui parut obscène.

Elle visualisa son ventre comme un désert, où plus rien ne pourrait germer.

Et dans les maisons voisines d’autres femmes prenaient comme elle conscience du même phénomène. Leurs ovaires ne fonctionnaient plus. Les spermatozoïdes de leurs maris n’étaient plus féconds.

Que s’était-il passé ? À quel moment avait eu lieu cette mutation ?

Certains incriminaient la pilule. D’autres les pantalons serrés qui par échauffement tuaient les spermatozoïdes. On parlait aussi de l’eau polluée, de l’air irradié, des ondes transmises par les téléphones portables, des aliments génétiquement modifiés, de virus insidieux.

On ignorait la cause de ce désastre, mais chaque jour le nombre de stérilités augmentait.

Pour les mystiques c’était un juste prix à payer pour avoir détourné la sexualité de sa fonction reproductrice.

Il s’ensuivit bientôt une période de puritanisme réactionnaire.

On revint aux mariages arrangés par les parents, à la virginité de la mariée, à la fidélité obligatoire, à la fermeture des sites informatiques de rencontres, à la pénalisation de la prostitution, de l’adultère, de la nudité, puis de tous les actes sexuels non reproductifs comme la fellation ou la sodomie. Pour ces deux derniers « vices », des amendes et des peines de prison ferme sanctionnaient les contrevenants.

Malgré cela, le nombre de personnes stériles continuait d’augmenter de manière inquiétante. Les individus devinrent pâles, agressifs. Après le puritanisme, apparut par contrecoup une période de débauche. Tout le monde couchait avec tout le monde et sans protection, en espérant que le nombre de partenaires augmenterait les probabilités de fécondation. La sexualité s’étalait désormais partout, sans la moindre pudeur.

Pourtant la courbe démographique poursuivait sa chute inexorable.

La troisième phase fut une période de résignation. Chacun menait sa sexualité comme il l’entendait, dans le seul but de se faire plaisir, sans espoir de procréation.

Comme si l’humanité tout entière avait atteint sa ménopause.

Et le nombre d’humains sur Terre décroissait, d’année en année, de siècle en siècle, sans que quiconque puisse enrayer le terrible phénomène.

Cependant la Nature a des projets.

Elle coule comme de l’eau sur une pente et quand elle rencontre un obstacle elle le contourne. Les humains, même devenus stériles, constituaient son expérience la plus audacieuse. Elle n’allait pas y renoncer si facilement.

C’est alors que survint ce que l’on nomma plus tard la « Révolution des fleurs ».

Les calendriers affichaient : année 10 363, mois : juillet, date : 23.

Adrien Olstein était en train de se masturber en regardant un film érotique lorsque, soudain, il vit sortir de son pénis, en lieu et place des quelques gouttes transparentes habituelles, une giclée de poudre argentée extrêmement légère qui resta en suspension dans la pièce, avant de retomber comme de la poussière chatoyante.

Tout d’abord ébahi, il eut un réflexe étrange.

Il ouvrit la fenêtre et aussitôt son sperme argenté fut emporté par le vent vers les hauteurs.

Il rapporta le phénomène à un journaliste qui en fit un écho, et tout le monde voulut voir.

Adrien Olstein se masturba devant témoins et caméras. Et chaque fois la projection de la jolie poudre argentée laissait les spectateurs troublés, puis au final émerveillés.

Au début, les experts imaginèrent que cette mutation était un simple accident biologique. Mais, sous microscope, ils découvrirent qu’au cœur de chaque grain de poudre se tenait recroquevillé un minuscule et unique spermatozoïde sec, quasi lyophilisé. Ils rappelèrent que la plus grosse cellule humaine était l’ovule et la plus petite le spermatozoïde, ce qui pouvait expliquer que ce dernier tienne dans un grain suffisamment léger pour voltiger.

Adrien Olstein fut le premier, mais bientôt d’autres hommes signalèrent le même curieux phénomène. Ils éjaculaient de la poussière. Bien vite les médias baptisèrent cette poudre voletante : « Pollen masculin. » Des spectacles d’« éjaculation de pollen masculin » furent organisés alors que la poudre argentée était éclairée par des projecteurs multicolores et que des ventilateurs la transformaient en nuage chatoyant bien vite dispersé dans le public sous les cris d’excitation des jeunes adolescentes, que ce spectacle grisait.

Parallèlement, le sexe féminin connut lui aussi sa mutation. La cyprine, exsudation naturelle vaginale servant à la lubrification des petites lèvres, devint de plus en plus colorée, huileuse, parfumée et de saveur sucrée. Après le « Pollen masculin » les esprits poètes nommèrent cette nouvelle cyprine « Nectar feminin ».

Malheureusement, si l’on mettait le pollen masculin en contact avec le nectar féminin, il n’en résultait aucune fécondation. Le grain de pollen pourvu d’une membrane protectrice restait étanche, et si l’on tentait de la briser, le spermatozoïde mourait.

Une fois encore, on pensa que l’espèce humaine s’en allait vers sa fin, d’une non-adaptation des éléments mâle et femelle.

Et puis, un jour, alors que le même Adrien Olstein, dormant en plein air, était en proie à un rêve érotique, entraînant l’envol de sa poudre argentée, un papillon passa par là et se posa. Il renifla, goûta la substance et, intéressé, déploya sa trompe pour aspirer le pollen retombé sur le sexe masculin comme une fine neige.

Ce papillon était un Monarque aux ailes jaune et orange striées de lignes noires à points blancs.

Le papillon s’envola, mais il digérait mal ce nouvel aliment. Il eut envie d’une boisson qui fasse passer cette manne étrange. Il essaya l’eau de pluie, mais la sensation de soif ne reculait pas. Il chercha autre chose, il chercha longtemps, goûtant vainement liquides et sèves, quand ses antennes lui indiquèrent soudain une source d’humidité nouvelle.

Une femelle humaine. Elle émettait un parfum qui le guida comme un rail vers le bas de son ventre. Là, le papillon découvrit enfin un nectar qui l’abreuvait à satiété.

C’est ainsi que, tout en pompant le suc féminin, le Monarque put enfin digérer le pollen masculin, et il se mit aussitôt à excréter le fruit de cette alchimie digestive.

Or l’intestin de l’insecte possédait les seules enzymes capables de ronger la membrane protectrice du pollen masculin, sans en détruire le cœur. C’est ainsi que le spermatozoïde lyophilisé fut enfin libéré de sa coquille.

Au contact du nectar féminin, il se réveilla et, comme mû par un appel mystérieux, commença à ramper pour pénétrer à l’intérieur du corps et se lancer dans une escalade du col de l’utérus.

Là, l’attendait un ovule qui, dès qu’il le toucha, se détendit, se ramollit et l’accueillit en son sein.

Neuf mois plus tard, Chantal Delgado accouchait enfin d’un être vivant.

C’était une fille.

Elle fut baptisée : Marguerite.

La naissance de l’enfant issu du scénario floral et papillonesque fut un événement mondial. On enquêta et on découvrit le responsable. Le fameux papillon Monarque, de son nom complet Danaus plexippus.

Désormais chacun savait qu’on pouvait enfanter « autrement ». Même si cet autrement semblait complètement délirant.

La « Révolution des fleurs » pouvait commencer.

Le professeur Amzallag décomposa le phénomène pour bien le saisir dans ses moindres détails.

A : le rêve érotique masculin,

B : l’émission de pollen argenté,

C : l’arrivée du papillon Monarque,

D : les enzymes intestinales de l’insecte,

E : le rêve érotique féminin,

F : l’émission du nectar féminin capable d’attirer le papillon,

G : la venue du papillon,

H : le voyage solitaire du spermatozoïde réveillé jusqu’à l’ovule,

I : l’ouverture de l’ovule à cet unique et minuscule messager.

Quel insolite scénario Mère-Nature avait-elle donc mis au point pour qu’une espèce puisse poursuivre son aventure avec la complicité d’une autre aussi différente… ?

À la télévision, le professeur Gérard Amzallag, biologiste de renom aux larges épaules et à la voix grave, rappela que ce genre de phénomène est très fréquent dans le monde animal et végétal.

Le savant présenta une orchidée, l’Ophrys exaltata, qui avait muté afin que la partie basse de sa fleur ressemble à s’y méprendre à un corps d’abeille.

— Le mimétisme est si parfait que l’on distingue non seulement les yeux et la bouche de l’insecte, mais aussi des petits poils. Lorsque l’abeille se précipite pour l’accouplement elle se charge de pollen. D’autres fleurs, affirmait-il, notamment des arums, produisent des parfums similaires aux phéromones sexuelles des mouches et des moustiques. Et ce, toujours afin de les attirer pour les utiliser comme porteurs de semences.

Devant un auditoire subjugué, il évoqua des espèces, comme la douve du foie, simple cellule avec un noyau, dont le cycle de reproduction nécessitait le voyage non pas dans une, mais dans trois espèces animales et une végétale !

Et il expliqua avec enthousiasme l’itinéraire complexe de la douve du foie du mouton.

— Elle circule donc dans le mouton. Puis elle est éjectée dans ses crottes. Ces excrétions sont léchées par les escargots, qui se retrouvent infectés. Puis ces escargots sont mangés par des fourmis qui du coup sont à leur tour parasitées. Installées dans les fourmis, les douves les rendent folles jusqu’à ce qu’elles grimpent en haut des herbes pour se faire brouter à nouveau par des moutons. Et voilà, le tour est joué ! La douve, un micro-organisme pas plus gros qu’un microbe et dépourvu de tout système sensoriel, a besoin de ce scénario pour se reproduire.

De même le professeur Amzallag rappela que si les fruits sentaient bon, présentaient des couleurs et un goût agréables c’était plus prosaïquement pour donner envie aux mammifères de les manger, et de les digérer afin de réduire par leurs sucs gastriques leurs pépins ou leur noyaux, tout en offrant à l’endroit où ils allaient les excréter, un accompagnement de fertilisant naturel.

Le public se passionna pour ces coopérations de la nature. Les livres parlant d’évolutions parallèles ou croisées connurent un succès soudain.

Synergie, le grand livre du professeur Amzallag resta longtemps le best-seller de référence.

La mode revint aux fleurs, aux plantes en pots, aux collections de papillons sous verre, et à l’observation de la nature.

L’instant de surprise passé, l’humanité, tel un vaste troupeau, inquiétée puis rassurée, se réorganisa autour de nouvelles règles de survie.

Maintenant que tout le monde avait compris que l’incident et son étrange réponse étaient des événements « normaux », il ne restait plus qu’à vivre autrement.

Tout d’abord de grands solariums à ciel ouvert furent aménagés. Là des centaines de mâles humains faisaient des siestes en regardant des films suggestifs. Étrangement les fantasmes avaient changé, la plupart des hommes étaient excités par la vision de… bouquets de fleurs. Le pollen giclait en brumes chatoyantes autour des pénis tendus.

Le phénomène attirait des nuées de papillons Monarques. Juste à côté, d’autres solariums étaient installés eux aussi à ciel ouvert où les femmes elles aussi faisaient leur sieste nues (le fantasme féminin le plus répandu était la vision d’un arbre au tronc épais). Les papillons ayant aspiré le pollen masculin venaient dès lors les rejoindre, pour le restituer sous une forme assimilable par leur vagin lubrifié de nectar sucré.

Adrien Olstein devint le spécialiste de l’émission de pollen. Il expliquait partout sa technique personnelle de masturbation.

Gérard Amzallag s’enferma dans un laboratoire avec une équipe de chercheurs pour réfléchir à la manière d’améliorer et simplifier le processus en maîtrisant la partie « insecte » de l’acte.

Selon lui il fallait augmenter le pouvoir d’attraction du sexe masculin, sinon l’homme resterait toujours en concurrence avec la moindre jacinthe ou le moindre nénuphar.

Ce fut un jeune peintre, Sacha Baraz, qui eut l’idée de disposer des pétales de fleurs autour du sexe masculin en érection. Cela lui donnait ainsi l’allure d’un pistil.

Dans l’enthousiasme, d’autres créatifs se mirent à travailler sur la couleur des pétales. Rouge valait mieux que jaune. Mauve mieux que rouge. Une alternance de pétales mauves et blancs s’avéra la combinaison la plus efficace. Sacha Baraz lança sa marque de « décoration pénienne ».

Les hommes se mirent dès lors à arborer de belles collerettes de pétales mauves et blancs, avec des veinures autour du sexe afin d’offrir des pistes d’atterrissage aux papillons Monarques.

Cependant cette combinaison de couleurs n’agissait pas de la même manière pour les femelles humaines. Après avoir consommé le pollen masculin, les papillons étaient attirés non par les sexes féminins entourés de pétales mauves mais par les pétales orange. Une combinaison d’orange et de rouge vif réussit l’effet optimal. Là aussi Sacha Baraz mit au point un motif orange et rouge à liséré noir du plus bel effet.

— Si un jour on m’avait dit que je créerais une mode pour plaire à des papillons ! s’exclama-t-il lors de la présentation de ses collerettes féminines.

— Si un jour on nous avait dit que nous serions sauvés par des papillons ! compléta le professeur Amzallag, invité à la présentation de la collection du printemps.

— Si un jour on nous avait prédit qu’on éjaculerait de la poudre ! conclut Adrien Olstein.

Les stades de football furent transformés en solariums où des centaines, puis des milliers d’êtres humains vinrent bronzer sur des transats dans l’espoir d’attirer les Monarques.

Les papillons voletaient en nuées éparses, guettés par des yeux impatients.

Neuf mois plus tard les femmes accouchaient. Les prénoms à la mode étaient souvent des prénoms de fleurs ou de plantes : Rose, Églantine, Angélique, Iris, Marjolaine, Narcisse, Gentiane, Anémone, Véronique, Dahlia, Garance, Mélissa, Muguette, Pâquerette, Pervenche, Violette.

Le rituel des fleurs fut progressivement accepté comme un élément de la vie quotidienne.

Les gens allaient au travail jusqu’à onze heures. Puis ils mangeaient rapidement, et faisaient une longue sieste au solarium. À midi, le soleil à son zénith rendait la sexualité plus efficiente.

Le peintre Sacha Baraz, dans son désir de perfectionnement de sa collerette masculine, eut l’idée d’ajouter des motifs en dentelles, petits dessins complexes qui, pour des raisons inconnues, augmentaient l’attirance papillonesque.

Il expliqua que les fleurs ayant elles-mêmes des motifs compliqués, il n’y avait aucune raison pour que les « fleurs humaines » n’en aient pas.

Un art sexuel floral apparut. Les pétales parfois dorés ou rouge magenta s’agrémentaient de rainures en relief ou de petits ronds en creux.

En parallèle, les rapports hommes-femmes se modifièrent. Sans pénétration sexuelle, les rapports devinrent plus détendus.

Plus que le sentiment amoureux, une sorte d’amitié, de complicité dominait, qui excluait toute rivalité, tout rapport de forces. Le poids de la pudeur, de la morale, du mariage, des engagements, des tromperies et des abandons avait disparu. Personne n’appartenait plus à personne. La notion même de famille n’avait plus de sens.

Les enfants, n’ayant pas de père clairement identifié, grandissaient sous la vigilance de la communauté qui s’occupait solidairement de leur confort et de leur éducation. Même les mères, peu à peu, oublièrent tout sentiment de possession. Les enfants appartenaient à l’espèce humaine, et étaient traités de manière égale.

Mais l’inquiétude réapparut lorsque les papillons Monarques commencèrent à se raréfier.

Les scientifiques tentèrent d’élever des papillons Danaus plexippus en captivité. Mais la vie de sa larve dépendait d’une plante, l’asclépiade, dont le jus laiteux était l’unique source d’alimentation. Or ce jus contenait des alcaloïdes, du terpène et autres composés complexes impossibles à synthétiser en laboratoire.

Indirectement, la survie de l’espèce humaine ne dépendait plus seulement d’un insecte, mais d’un insecte dépendant lui-même d’une herbe.

Il fallut, pour préserver l’espèce Monarque, et donc l’espèce humaine, installer des champs entiers d’asclépiade, dont la pousse fragile dépendait de la qualité de la terre. Or la terre avait perdu beaucoup de ses oligoéléments lors des cultures intensives des années archaïques (notamment le deuxième millénaire après J. C. Période dite « du grand gaspillage »).

Ce fut le professeur Gérard Amzallag qui, une fois de plus, dut annoncer la nouvelle aux actualités. Si l’homme voulait préserver son existence future, il devait sauver non seulement un insecte et une plante, mais également un sol. Et il manquait à ce sol un oligoélément indispensable.

Après avoir longtemps cherché, les scientifiques comprirent que cet oligoélément ne pouvait pas être recréé chimiquement. Pour qu’il existe il fallait les déjections d’un ver précis, le lombric tigré. Or ce ver avait disparu car il avait lui-même besoin d’une nourriture spéciale :

L’humain.

Depuis longtemps les gens avaient pris l’habitude d’enterrer leurs morts dans des cercueils étanches. Une vieille tradition dont on ne connaissait plus le sens. Mais en se coupant de la terre l’homme ne pouvait plus nourrir les vers. Et les lombrics tigrés, indispensables à la synthèse de cet oligoélément, étaient en voie de disparition.

Il s’avéra rapidement nécessaire de changer le rituel de mort des humains.

On inhuma donc les cadavres à même la terre, afin que les lombrics tigrés puissent s’en nourrir et produisent l’oligoélément indispensable à la pousse de l’asclépiade indispensable à la nourriture des papillons Monarques indispensables à la reproduction humaine.

On enterrait le mort entièrement nu, sans tombe, dans les champs d’asclépiade, et on prononçait la phrase rituelle : « Nourri toute ta vie grâce aux fruits de la planète Terre, te voici à nouveau fertilisant de cette même Terre. »

Ainsi, par le simple geste de gestion de ses cadavres, l’homme se réintroduisit dans le cycle de la nature dont il s’était extrait depuis très longtemps.

Le cycle écologique repensé autour du sexe humain floral entraîna des mutations de toutes les espèces. De nouveaux prédateurs, de nouveaux fécondateurs apparurent.

Bientôt, les scientifiques osèrent ce que personne n’avait osé : greffer des pétales directement dans l’épiderme humain.

Ce fut la première étape de ce qu’on appela plus tard « l’Intégration physiologique ».

La seconde, sous le contrôle du professeur Amzallag, fut de lancer un programme de recherche génétique visant à modifier le codage ADN pour faire apparaître, dès la naissance, des excroissances en forme de pétales colorés autour du sexe.

Cette nouvelle génération fut celle des « enfants-fleurs ».

D’autres scientifiques parvinrent à faire muter l’odeur de la sueur, afin qu’elle se transforme en parfum attirant les papillons Monarques. Quant aux femmes, elles mutèrent aussi, et leur sexe devint de plus en plus hospitalier aux papillons. Outre les pétales, elles exsudaient par les seins un suc vitalisant pour les Danaus plexippus.

Et ainsi l’humanité changea et fut sauvée.

Bien plus tard, 35 000 ans après la première reproduction par l’intermédiaire d’un papillon Monarque, certains humains commencèrent à se transformer en hybride animal-végétal.

Leur sang s’éclaircit (le mélange du pourpre des globules rouges et du blanc de la sève donnait un rose crémeux). Leurs membres s’allongèrent pour devenir des branches. Leurs sexes se multiplièrent pour se transformer en fleurs colorées. Leurs yeux et leurs oreilles devinrent de larges feuilles qui recevaient comme principale information toutes les nuances des lumières du ciel. Leurs pieds devinrent de profondes racines blanches capables de s’allonger pour aller chercher l’eau fraîche des nappes phréatiques et des ruisseaux voisins.

L’homme végétal vécut ainsi l’expérience d’être nourri par cette terre sur laquelle il n’avait fait que marcher.

 

Cinquante millions d’années plus tard, quand les premiers extraterrestres débarquèrent, ils ne virent sur Terre plus aucun humain mobile, mais de somptueuses forêts aux arbres fleuris couverts de papillons Monarques Danaus plexippus.

Et jamais les extraterrestres ne se doutèrent que ces végétaux majestueux continuaient à dialoguer entre eux par télépathie. Car ces arbres avaient gardé la mémoire de l’époque où, au début des âges, ils avaient été des animaux agités, courant et piaillant sans cesse.

Jamais les extraterrestres ne surent que, toutes les nuits, aux heures les plus fraîches, quand la sève coulait plus lentement dans les troncs, les arbres rêvaient de cette époque dont la mémoire était enfouie au cœur de leur bois, au plus profond de leurs racines…

Paradis sur mesure
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